Journal de Seb, entrée 12... Je crois... Oui, c'est ça 12.

ça commence à devenir difficile de tenir le compte. ça fait bien longtemps que nous sommes parti maintenant et ce n'est pas qu'on ait envie de rentrer mais on sent un peu la fatigue. Limite, on aurait besoin de vacances.

- Quoi?! Je m'insurge! De la fatigue? Mais vous êtes déjà en vacances tout le temps! Et puis vous avez choisi de faire ça pendant que nous on reste à bosser toute la journée.

Alors oui, c'est vrai. Mais c'est pas vraiment des vacances, déjà - vous en saurez plus à notre retour - et puis ce n'est pas parce qu'on voyage qu'on se repose. On bouge tous les deux jours, au Japon c'était tous les jours ou presque, on ne sait jamais dans quelles conditions on va dormir; jusque là on s'en sortait avec la langue, mais maintenant c'est un peu la galère et on commence à ne pas trop savoir ce qu'on mange. Bref, cette semaine, petite déprime et petit blues des sept mois. Heureusement, on est là l'un pour l'autre avec Zoé. Le monde peut devenir incompréhensible ou hostile, dans le fond on s'en fiche, on est tous les deux. Et après tous ces mois de voyage à vivre 24h sur 24 main dans la main, on sait qu'on était fait pour être tous les deux et faire notre vie ensemble. Mais bon, revenons un peu en arrière sur cette première semaine passée en Chine. On dit toujours pays de soleil levant pour la Chine? Ou ce n'est que pour le Japon? Arf, je ne me souviens pas. De tout façon, ce n'est pas bien grave puisqu'on est arrivé de nuit.

L'atterrissage de notre avion sera qualifié de chaotique. Non pas parce qu'on a rebondi sur la piste comme des gamins sur un trampoline, non. En fait, notre pilote s'est carrément payé le luxe d'atterrir sur la mauvaise piste. Eh oui, c'est possible. Du coup, on a passé une bonne heure coincé dans l'avion le temps que l'aéroport trouve un moyen de nous dépétrer de ce mauvais pas. Après cela, passage de douane. Là, rien à dire. Le douanier a été courtois et souriant. On est passé en trente secondes et sans nous poser de questions. Notre plus mauvaise expérience reste donc à ce jour celui de la douane Américaine - quelle grosse surprise - et le mec de la douane Canadienne. Enfin, rien de bien méchant en somme. On récupère ensuite nos sacs que le personnel de l'aéroport avait gentillement pris soin de rouler dans les flaques d'eaux pour nous rafraichir la dorsale et nous sommes sortis en quête d'un bus pour le centre ville. Il était minuit lorsque nous arrivâmes sur le trottoir cherchant quel bus prendre. Un chinois en costard s'est tout de suite attaché à nous. Il a commencé par nous dire que nous ne trouverions pas de bus et qu'on devait prendre un taxi. On lui a gentillement dit qu'on voulait vérifier ça par nous même. Alors il nous a conduit devant un panneau d'affichage disant que le dernier bus était parti à 23h30. ça commençait mal pour nous cette histoire. Il nous a donc dit qu'il pouvait nous emmener en voiture à notre hôtel et qu'il était moins cher que les autres taxis. Oh la belle affaire que voilà... Alors bien sur, ce type sorti de nulle part pour nous vendre ses services est louche. Et l'effet de nuit sur la scène ne le rend même pas bien aguichant, mais ne restons pas sur une mauvaise première impression. Voyant que tous les chauffeurs de taxis semblent être en train de draguer le client en mode négociation de proximité, on décide de tenter le coup avec notre clampin. Il nous conduit donc au parking où une voiture sans la moindre inscription démarre et s'arrête devant nous. Il nous fait signe de monter. Au volant, c'est une petite nana qui ne parle que chinois. Il lui dit où on va. Imprime un reçu qu'il donne à sa pilote. Le montant sur le ticket est le même que celui qu'il nous a annoncé, c'est déjà ça. Et puis il sort de la voiture et on se retrouve tout seul avec mini-madame. Bon, on s'est quand même demandé si on avait pas fait une connerie de monter dans cette voiture et on a suivit le trajet sur notre GPS. Le bilan est le suivant, on est arrivé à notre hôtel sans le moindre encombre. Du coup, moralité, même si son approche était parfaitement douteuse, il ne nous a ni menti, ni arnaqué, sur ce qu'il prétendait nous vendre.

Il était une heure du matin lorsque nous arrivâmes à notre chambre au 21eme étage de l'hôtel. On prit une bonne douche et on se mit au dodo. Nous étions heureux d'être arrivé en Chine et d'avoir un nouveau pays à découvrir, mais nous avions aussi le sentiment d'avoir quitté le Japon beaucoup trop tôt. Et ce sentiment ne nous quitte toujours pas. Je le balance comme ça, un peu comme un cheveux sur la soupe, le Japon est notre pays préféré et de loin. Voilà, au moins ça, c'est dit. La Chine est pour ce qu'on en a vu, un pays magnifique. Il y règne une folie de vie et une énergie qui vous submerge et draine vos batteries en quelques minutes. Bien reposé, ce pays est - à mon avis - très éprouvant à visiter. Alors avec sept mois de voyage dans les pattes... Je vous laisse imaginer.

Le Japon était d'un propre et d'un calme surréaliste. Ici, tout est sur-abondant. Tout d'abord, Shanghai est une ville très polluée. On nous avait parlé de Pékin, mais pour ce qu'on en a expérimenté, Shanghai est violent. Le ciel n'est jamais bleu, on ne voit jamais clairement à plus de cinq blocs de distance. L'air est épais et vous brûle les poumons. Les gens circulent à pieds, en voiture, en bus et en scooters électriques en prenant les règles du code de la route pour de vagues notions aléatoires. Il faut être vigilant sur les trottoirs et aux carrefours car ça roule dans tous les sens et toutes les directions. C'est de la folie. Ajoutez à ça le linge qui pend dans les rues, les restaurants qui épluchent leurs légumes et leurs viandes sur le trottoir, balance leurs bassines d'eau sale sur le bord de la route et les gens qui ont la coutume de se racler la gorge en continu et de cracher partout par terre. Si nous avions été à notre premier mois de voyage, on aurait juste bien rigolé de tout ça et on se serait lancé dedans à coeur perdu. Mais là... Cela nous a juste fatigué. Mais pas au point de renoncer sans se battre, que diable!

Alors c'est parti pour la visite de Shanghai. Au premier jour nous sommes allés nous perdre dans les quartiers du vieux centre ville. L'architecture y est magnifique et extrêmement colorée. Là, Sun Wu Kong a décidé de venir à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue dans son pays. Au détour d'une ruelle se trouvait un petit théâtre de rue. On était invité à prendre place à huit autour d'une grosse boite percée de paire de trous pour y voir à l'intérieur. Dedans par un jeu de lumière, des illustrations se révélaient et leur dessin changeaient alors que la lumière s'alternait d'un coté ou de l'autre du papier. Sur chaque illustration se trouvait une courte fable tirée de la pérégrination vers l'ouest. Je trouvai la coïncidence amusante. 

Je souligne d'ailleurs que depuis que nous sommes ici, le singe semble me suivre partout. Il est en ce moment suspendu au dessus de la table de l'atrium où nous nous sommes installés, sous la forme d'une petite peluche brandissant son bâton magique dans ma direction.

Après ces petites farces, nous sommes allés nous promener dans le Yu Garden. Un ilot de calme, de verdure et tranquillité au milieu d'un océan d'agitation. Ces endroits un peu plus paisible sont parfaits pour s'apaiser un peu de la foule. Le temple du bouddha de jade, le lendemain, nous a fait un peu le même effet. Les sculptures dans les temples bouddhistes offrent une iconographie encore différente de celle des temples Japonais. Il est cependant intéressant de constater la relation très différente qui est instauré entre les hommes et leurs dieux dans cette religion. 
Lors de cette deuxième journée, nous avons décidé de nous rendre à la gare pour acheter nos billets de train pour Pékin, pour le dimanche. Là, c'était la foire d'empoigne. Des gens dans tous les sens courant, criant, crachant, faisant des allers retours d'un bout à l'autre des files d'attentes. Impossible d'aborder la chose calmement. On s'est mis dans la seule file où le guichet annonçait un interlocuteur parlant anglais. Il y avait bien dix personnes devant nous au début. A un moment, il y en a eu huit, puis quinze, puis quatre, puis trois, puis deux, puis deux mamies nous ont baragouiné des trucs et se sont mises devant nous. Un type est passé, a craché à terre et a continué son chemin. Et enfin c'était à nous. La nana au guichet ne nous a pas dit bonjour. Il faut savoir que c'est en option ici, mais je vais y revenir. 
Elle a demandé où on allait.
On a dit Pékin.
Elle a demandé quand.
On a dit le 24.
Elle a demandé à quelle heure.
On a demandé ce qu'il y avait comme train le matin.
Elle a dit 1100 yuan.
On a demandé a quelle heure allait être le train.
Elle a demandé nos passeports et l'argent.
On lui a donné en demandant à quelle heure était le train.
Elle a rien dit.
Elle nous a rendu nos passeports et nous a donné deux billets au départ d'une autre gare que celle où nous étions à 13h.
On a voulu dire "merci quand même", mais un mec s'est intercalé devant nous et à déballé son fourbi sur le guichet.
On est parti avec nos billets.

Et oui, on a une fois de plus décidé de voyager en utilisant le train. De ce qu'on en a compris pour le moment, l'expérience risque d'être très différente. Le train Shanghai-Pékin que nous avons pris met 6 heures à faire le trajet. Le même trajet peut être fait à bord d'un train qui mettra quinze ou vingt heures. Il y a donc deux types de trains les très rapides et les très lents. Les premiers sont chers, les autres pas. Pour ce premier voyage, on a décidé de prendre l'option rapide. Un autre plan aurait été de faire un arrêt sur la route, mais voyant les villes que nous avons traversé, on est bien content de ne pas l'avoir fait. Des cités anonymes, composées de bâtiments clonés répartis en blocs bien ordonnés ne laissant qu'une impression de stérilité et de vide.

Je dis que le bonjour est en option ici, c'est vrai. C'est une option un peu particulière. Soit on tombe sur quelqu'un de froid - voir parfois hostile - à notre rencontre, qui en dira le minimum et surtout ne s'embarrassera pas de politesse. Et parfois, on tombe sur des gens chaleureux et souriants qui font tout ce qu'ils peuvent pour nous aider. J'illustre mon propos : Hier nous sommes allés au bureau qui vend des billets de train pour y acheter la destination qui se succédera à Pékin dans notre périple. On est entré, on a dit bonjour. Il n'a rien dit. On a demandé s'il parlait anglais. Il s'est remis jouer sur son téléphone. On s'est dit ok, super, c'est bien parti. On est rentré à notre hôtel. Là, Zoé est allée voir la fille de l'accueil qui tout sourire lui a répondu qu'elle pouvait nous noter ce qu'on voulait en chinois sur un papier pour qu'on ait juste à lui donner. Ce matin, nous sommes donc retourné avec notre papier dans les mains voir le mec. On a dit bonjour en chinois et on lui a tendu notre papier. Sur ce dernier était inscrit qu'on voulait un train pour Datong qui partirai après 10h au matin du 29. Il l'a à peine regardé et nous a dit "No". On a cru qu'il voulait expliciter sa réponse en nous montrant un truc sur son téléphone, mais non, il s'est juste mis à jouer avec.
Bilan de cette histoire, on est allé à la gare et on est maintenant en possession de deux billets de trains qui partent à 15h 35 et dont le trajet va durer 7h. Trajet pour lequel nous n'avons pas de place assise. A coté de ça, une petite employé du Seven Eleven nous a abordé avec le sourire, nous a fait des blagues, le temps qu'on passe avec elle à la caisse. Nous rappelant un peu la vendeuse japonaise qui nous avait convaincu d'acheter une petite chouette qui fait pouet-pouet, trop kawai, juste parce qu'elle nous avait fait rire. Alors on alterne entre sale personne et gentil être humain sans pouvoir prévoir à l'avance le comportement de gens avec qui on interagit.

Je ne dirai donc pas que tout le monde est malpoli ici et je ne dirai certainement pas qu'il s'agit de quelque chose d'exclusif aux touristes occidentaux. C'est juste que comme partout, on tombe sur des gens charmants et des têtes de cons. Et que ici, la culture faisant, le fossé qui va d'un extrême à l'autre peut être très marqué. Alors à des moments, c'est un peu rafraichissant de ne pas avoir à dire pardon quand on percute des gens dans une foule. Et personne ne semble s'offusquer du fait que les voitures et les bus forcent le passage quand le feu piéton est vert et qu'une centaine de personnes est en train de traverser. En fait, je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça. Le pays est magnifique, les gens sont comme ça, c'est un tout et c'est un fait. Et je ne vois pas de quel droit j'irai donner des leçons aux gens parce qu'ils ne font pas comme j'aime, ou ce que je considère comme poli, ou quoi. Dans la rue tout le monde crache, jette ses papiers au sol, fait faire pipi à ses enfants au dessus des caniveaux. Les toilettes, je n'en parle même pas. Je crois que le mot "sale" n'a même plus de sens dans ce contexte. Les narines sont assaillies de toutes part d'odeurs qui s'alternent entre la mise en appétit et l'envie de vomir. Mais c'est comme ça. Ce n'est pas quelque chose qui va changer. Alors si on veut voir les trésors que la Chine renferme, il faut faire avec. Alors on accepte, on cherche à manger dans des endroits locaux - où on nous sert parfois des choses horribles et parfois des choses excellentes - on visite les sites touristiques et les petites rues. On fait comme on a toujours fait jusque là et déjà on se dit qu'on reviendra en Chine, mais cette fois pour en découvrir d'autres parties que celles que nous allons faire lors de ce mois.

Maintenant revenons à notre troisième jour à Shanghai. Oui, je sais. Je fais des aller-retour dans le temps et vous êtes tout perdu. On est à Pékin, on a visité le temple du ciel et une partie de la cité interdite. Mais vous avez vu les photos et je ne vais pas vous faire un cour d'histoire sur le sujet, vous avez tous accès à wikipedia. Ah si, anecdote amusante. Un couple de touristes chinois nous a arrêté dans notre visite de la cité interdite pour qu'on se prenne en photo avec eux. On a pas trop compris ce qu'il c'était passé. On a trouvé ça bizarre parce qu'il y avait beaucoup d'autres occidentaux. Alors peut être qu'ils nous ont prit pour je ne sais qui, mais ils risquent d'être déçus en vérifiant par la suite dans leur magazine people qu'ils ont fait erreur sur la personne. Enfin bref, retour sur le troisième jour.

Comme je l'ai dit en préambule de cette article, on se sent fatigués. En cette journée du 23 avril, au matin, c'est là que nous en avons pris conscience. Il faisait un temps très vilain. Une pluie violente était tombée toute la nuit et devait continuer toute la journée et pour la première fois depuis le départ, on a senti un petit coup de blues. On avait pas envie de quitter le lit. On s'est quand même levé pour aller au petit déjeuner, uniquement pour monter se recoucher ensuite. On avait fait beaucoup d'efforts avec Zoé au Japon pour en apprendre un maximum sur la langue afin de pouvoir communiquer un peu avec les gens et surtout lire des menus, des plans, des panneaux, etc... Ici, tout est à refaire. On retourne à la case départ. Pour la nourriture, on a trouvé une grande différence. On n'arrive pas vraiment à prendre nos marques. Les restaurants bons et mauvais s'enchainent sans pour autant qu'on puisse tirer des conclusions qui nous permettraient de savoir si tel ou tel endroit sera bien ou non. Pour la première fois, on s'est senti loin de chez nous et des gens qu'on aime. Et l'Internet chinois ne devait pas arranger notre sentiment d'isolement. Et oui, pour ceux qui l'ont oublié, internet est censuré en Chine. Pas de google. Ce qui veut dire qu'on ne peut pas recevoir nos mails, qu'on ne peut pas surfer, que les messages qu'on envoi sont examiné avant d'être réellement envoyé. On ne peut plus utiliser notre meilleur ami du voyage : google map. Outil qui nous sert à nous orienter, certes, mais aussi qui permet de faire notre itinéraire sur la carte du blog. Bref, d'un coup, on s'est senti loin et seul. J'aimerai dire que ce sentiment est vite passé, mais en vérité, il met un peu de temps à partir. On a donc décidé de modifier le fonctionnement de nos journées. Heureusement avec Zoé, on sait rebondir. Alors on s'est mit à travailler à notre stratégie de retour. Bah oui, on savait ce qu'on allait faire au retour, mais on a décidé de se plonger dedans dès maintenant. Du coup, cela a prit du temps - au moins quatre jours - mais on a trouvé un nouveau souffle dans ce voyage.

Récemment, on a repensé à ce qu'avait dit mon oncle Greg un soir à table, en parlant de nous : "La vie, la vraie, c'est ce qu'ils font eux. Ce n'est pas de passer ses journées enfermé dans un bureau." Le souvenir de cette petite tirade nous a remonté le moral. Même si je pense qu'on peut y apporter quelques nuances. La vie, la vraie, c'est ce qu'on décide d'en faire et de rester en accord avec soi-même. Que voulez-vous, j'adore la morale de l'alchimiste de Paulo Coelho. Avec Zoé, on se reconnait bien dans cette histoire - je ne vous livrerai pas le pourquoi, car cela ne concerne que notre histoire personnelle.

Alors oui, on est fatigués en ce moment. Mais c'est bien normal. Bien vite une nouvelle découverte nous appelle et nous revoilà dehors à arpenter le monde pour en faire son expérience. Et ça m'a rappelé un poème intitulé Ulysses, d'Alfred Tennyson dont les derniers vers ont achevés de me rendre la fougue des premiers jours :
"We are not now that strength which in old days
Moved earth and heaven, that which we are, we are;
One equal temper of heroic hearts,
Made weak by time and fate, but strong in will
To strive, to seek, to find, and not to yield."

à dans deux semaines,

Seb