Journal de Seb, entrée 5 

Bon, allons-y tranquillement si vous voulez bien parce que je ne vous raconte même pas le niveau de fatigue en ce mardi matin. Je crois que nous sommes le premier jour du mois de décembre, je n'en suis pas sûr... je vérifie... Oui, on est le premier décembre. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve que c'est une bonne nouvelle. Le mois de décembre a toujours été pour moi... Non! Non, non, non, de la structure. Sinon, on ne va pas s'en sortir de tout ça. Alors, voilà on est mardi matin, on est à San Francisco dans un café du nom de Specialty's sur California Street. On reprend des forces à l'aide de sandwichs à la dinde, de cafés et de gâteaux. On a passé la nuit précédente dans le bus depuis Oxnard. Plus de 10h de trajet... Mais peut-être devrais-je commencer par la raison de notre présence dans ce Greyhound, ou non, peut-être par notre arrivée à Los Angeles... Non, je vais commencer par notre départ de Las Vegas. Après tout, c'est là qu'on vous a laissé la dernière fois. 

Allez, revenons ensemble à Las Vegas avec notre ami Gary pour une dernière journée. Le temps d'un petit déjeuner chez lui et nous voilà partis Zoé et moi faire une longue promenade sur le strip à travers les casinos délurés de la ville. On parcourt le jardin botanique du Bellagio, la reproduction à échelle réduite de la ville de New York dans le New York New York, les dédales du Ceasar's Palace jusqu'à la fontaine animatronique, la reproduction des canaux du Venetian. Dans cette atmosphère de Disney Land pour adulte totalement fabriquée et sur-colorée, on trouve un peu de temps pour s'essayer au jeu. On perd un peu, ça arrange le casino; mais on gagne plus, ça nous arrange nous. Après une bonne victoire à la roulette, on s'arrête de jouer et on va rejoindre Gary et l'un de ses amis pour un dernier tour sur Fremont street avant le show de la soirée. L'ambiance de Downtown se veut plus familiale et authentique que celle du strip actuel. Les dimensions sont moins impressionnantes, on vend plus de charme que de sexe et les machines des casinos sont sensées rapporter plus d'argent à leurs clients. Sous ce que les gens de Vegas appellent le plus grand écran du monde - et que je définirai comme le support multimédia le plus mal exploité de la planète (question de point de vue artistique) - les familles se baladent de casinos en concerts de rue, d'artistes ambulants en sosies plus ou moins crédibles avec qui se prendre en photo. Tandis que trois fake Elvis discutent de leurs gains de la journée avec le fake groupe Kiss les fesses à l'air, on déambule sous les néons et les gens qui se tentent les sensations fortes qu'offre la zip-line. On retourne voir la fourmie cracheuse de flamme, vestige du burning man, et en voiture on retourne dans le strip direction le show des Divas de Frank Marino. Probablement un des shows les plus "Vegas" que l'on peut trouver. Et d'ailleurs, qu'est-ce-qu'on y trouve me direz-vous. Eh bien mes enfants, sautez le paragraphe suivant si vous n'avez pas de sens de l'humour... 

Bienvenu dans ce paragraphe pour les amoureux des folies et du second degré. Alors le show des Divas de Frank Marino... C'est tout d'abord un show qui tourne en continue depuis 30 ans dans la ville. J'ai cru comprendre qu'il avait changé de casino quelques fois entre temps. Pour le dire simplement, Frank Marino est un travesti. Voilà, ça c'est pour la partie étiquette, parce que Frank Marino est surtout un artiste. Amoureux des formes féminines, des tenues, du charisme, des coiffures et du maquillage, il rend hommage à travers son spectacle aux Divas de la scène musicale internationale. Habillé de robes surréalistes, à chacune de ses interventions différentes, il nous présente sur scène un spectacle de danse et de jeu scénique où Céline Dion, Tina Turner, Britney Spears, Pink et tant d'autres sont interprétés par d'autres hommes qui jouent à être des femmes. Le numéro final du show, de loin le meilleur, nous présente sur scène le changement de costume et le retour à son apparence d'homme sur une chanson d'Aznavour. Je peux le dire sans ambages, avec Zoé on a adoré ce show. Je le recommande d'ailleurs chaleureusement à toutes les personnes qui pourraient être amené à aller à Las Vegas. Je suis particulièrement touché par le fait de voir quelqu'un réussir à faire de sa différence et d'une passion étrange une performance artistique qui trouve une acceptation générale. 

Voilà, Frank Marino c'est dit. Tout le monde peut revenir. 
Le lendemain nous sommes partis avec Gary en direction de Los Angeles, notre destination suivante qui allait pour nous marquer la fin d'une première étape dans notre voyage. L'arrivée au Pacifique! La fin de la traversée de ce continent vers l'ouest et le début, par la suite de la remontée vers le nord et le Canada. On s'est partagé le volant avec Gary et la traversée du désert du Mojave (Antoine pense à Fallout New Vegas) s'est bien passée. Pas de raiders, ni de mutants... non, ça c'est Fallout... ça s'est bien passé. 

On a déjà dit que le couch surfing c'est la loterie. Eh bien permettez moi de dire que parfois, c'est carrément la roulette russe. Alors, heureusement pour nous, ce n'était pas dangereux et on avait une solution de repli. Mais officiellement, on s'est enfui de chez quelqu'un. Je ne rentrerai pas trop dans les détails, parce que ce n'est pas nécessaire. Je dirai seulement qu'on s'est heurté à un mur de saleté (genre littéralement du caca partout dans la salle de bain) et d'angoisse relationnelle. Au bout de deux heures, on a décidé qu'il ne serait pas possible pour nous de rester là. On a donc inventé une excuse, prit nos sac-à-dos et on a filé. Zoé et moi avons très vite trouvé la situation risible, quelques pas plus loin dans la rue pour être exacte et comme quelqu'un d'autre nous attendait à Redondo Beach on était pas à la rue. C'est dans ce genre de moment bizarre qu'on est content de ne pas voyager seul et de pouvoir compter sur la personne avec qui on est. Je dirai que Zoé et moi sommes en ce sens parfait pour être ensemble et voyager ensemble. On garde notre sang froid, on trouve une solution et on retombe sur nos pattes en riant comme des gosses. Et de l'humour, je peux vous dire qu'il en faut pour survivre à Los Angeles. 

On est arrivé chez notre ami Dustin à Minuit, il nous aura fallu trois heures pour traverser la ville depuis Pasadena à Redondo Beach - l'enfer des transports en commun de LA. Et là, là... Comment dire... Accueil chaleureux, maison belle et propre, une vraie chambre avec un bon lit, une piscine et un jacuzzi dans la résidence, la plage à dix minutes à pieds... Le paradis en somme. Dustin est comme nous un voyageur, il a passé trois ans autour du monde, et est un artiste accompli. Ces derniers temps il vit à Los Angeles et travaille pour aider l'entreprise familiale - originaire de Chicago - à implanter une antenne sur la côte ouest. On a passé quelques jours très reposant chez lui à profiter des choses à proximité. Le lendemain de notre arrivée nous avons été rejoins par Léa, une couchsurfeuse d'origine suédoise, qui a persuadé notre petit groupe de se lancer dans la préparation d'un repas de thanksgiving végétarien. L'idée que ce soit végétarien ne nous a pas ravi à la base, mais l'idée de faire un repas de thanksgiving, elle, ben... Ben, c'était cool en fait. 

Alors je sais, controverse sur Thanksgiving/Thankstaking et que c'est bizarre de célébrer le fait que les amérindiens aient sauvé les pélerins pour que ces derniers puissent les massacrer juste après. Je sais. Mais bon, un petit dîner cuisiné tous ensemble entre des gens qui se retrouvent tous sous le même toit et viennent d'horizons différents, ça me semble une bonne chose à célébrer. 
Le jour même nous avons donc fait les courses ensemble, puis sommes allés nous promener sur les falaises et dessiner et sommes rentrés cuisiner. Je n'admettrai pas que ça manquait d'une dinde - oui, mais ça manquait d'une dinde - mais c'était un excellent moment partagé et un très bon résultat. Ca restera pour Zoé et moi un superbe souvenir. Le lendemain, jour du Black Friday, Zoé m'a accompagné au skate shop pour me faire construire un skate board sur mesure. C'était un de mes rêves de me faire fabriquer un skate à l'endroit où ça avait été inventé et voilà. J'adore cette nouvelle planche - Anne-so je te la ferai essayer, et Papa aussi d'ailleurs, elle est très maniable. J'y ai fait mettre des trucks spéciaux pour en faire un cruiser. Pour ceux qui ne partage pas encore ma passion du skate board et de son histoire, je vous recommande à tous d'aller voir sur youtube un très court documentaire des années 50 du réalisateur Claude Jutra, intitulé : Rouli-roulant. ça dure une dizaine de minutes et le ton humoristique et espiègle dévoile en réalité une histoire sociale et la mise en route d'un mouvement. 

Après ces quelques jours de couchés de soleil sur les plages du pacifiques, il était temps pour nous de reprendre la route. Notre objectif étant d'atteindre le Canada mi-décembre. Dimanche 29 Novembre, nous décidons de prendre la Pacific Coast Highway en direction du nord en faisant du stop. On nous a dit que le stop sur cette route était très facile parce qu'elle est très fréquentée. Hum, hum... Pardonnez mon language, mais... Connerie!!! 
Après quatre heures à se faire passer devant et ignorer gentiment de tout le monde, on décide de prendre un bus pour s'avancer au moins jusqu'à Malibu. La route devrai prendre 45 minutes pour n'importe quel véhicule, mais c'est sans compter sur les transports en commun de LA. Nous n'arriverons finalement pas avant 20h à Malibu et dans la nuit noire. Bilan de cette première journée de stop : échec Total. On doit même retourner à Santa Monica pour trouver un endroit où dormir et sans la moindre surprise, il ne reste de place que dans un hôtel, certes très beau mais, beaucoup trop cher. 

Lundi 30 Novembre, on s'arme de courage et on recommence. On prend le bus pour Malibu, on s'arrête à la fin de la ligne dans une station service Chevron. On tend le pouce vingt minutes et on rencontre Ryan qui nous conduit jusqu'à Oxnard. De là, on peut faire du stop sur la 101 pour remonter vers le nord et San Fransisco. Oui, on peut... Du moins on essaie... Et à 17h quand la nuit est tombée, ben on se dit que c'est raté. Alors comme on ne peut plus ni avancer, ni reculer, il ne nous reste que la possibilité du bus greyhound de nuit à un prix exorbitant et un départ à minuit et demi. Oui, a minuit et demi, alors que la station elle-même ferme ses portes à dix heures du soir. Alors que faire pour passer le temps quand tout dans le centre ville inactif semble fermer depuis cinq heures de l'après-midi et qu'à la question : Est-ce qu'on peut trouver un endroit sympa où manger dans le coin? On vous répond qu'il y a un subway pas loin... Eh bien on va passer la soirée dans le cinéma du coin où malheureusement on se retrouve à voir the hunger game parce qu'aucune autre scéance ne colle à nos besoins horaires et en mangeant un hot dog et des pop corns aux beurre pour le diner. Après, seuls à la station, on espère un peu qu'on sera seuls dans le bus. Et quand il se pointe déjà plein, on se sent bêtes d'avoir imaginé que ce serait le cas. Plus de dix heures de route avec des arrêts toutes les quarante minutes à travers les routes mal entretenues de Californie. 

Mais voilà, nous sommes maintenant le premier jour de décembre et nous avons réussi à atteindre San Francisco. On a l'impression d'avoir pédalé dans la semoule pour y arriver et cramé beaucoup plus d'argent que prévu pour faire la route, mais on y est. Dès que notre hôte aura prit le contact avec nous, on pourra aller se doucher et poser nos sacs avant de se lancer dans l'exploration de la ville. 
On commence à être un peu fatigué de notre périple aux états-unis et à avoir envie de changer de pays. Mais malgré ça, on ne voudrait être nulle part ailleurs et ne faire rien d'autre que ce que l'on fait.

Seb